L’essor des partenariats intercommunaux dépasse largement les frontières nationales traditionnelles, bouleversant les circuits habituels de l’aide publique au développement. Certaines collectivités locales gèrent aujourd’hui des budgets de solidarité internationale supérieurs à ceux de petits États souverains, sans passer par les canaux diplomatiques classiques.
Les disparités territoriales persistent, malgré la multiplication des jumelages et accords bilatéraux. Les dispositifs légaux français autorisent des engagements à géométrie variable, parfois plus rapides et flexibles que les programmes étatiques, mais exposent aussi à des failles de coordination et à des effets inégaux sur les populations.
Pourquoi la coopération décentralisée change la donne pour les territoires
La coopération décentralisée a pris une place singulière dans la transformation des territoires. Il s’agit du partenariat entre deux collectivités territoriales de pays différents, une démarche qui ne se limite pas aux logiques d’État. Cette autonomie s’appuie sur la Loi du 6 février 1992 et la Loi Thiollière de 2007, qui fixent les règles du jeu. La Commission nationale de la coopération décentralisée (CNCD) encadre, oriente et veille à ce que chaque initiative respecte le cadre fixé par l’État.
Les collectivités territoriales françaises s’aventurent ainsi sur de nouveaux terrains de relations internationales. Grâce au réseau Cités Unies France (CUF), à l’AFCCRE, à l’appui de l’Agence française de développement (AFD), mais aussi grâce au concours des ONG, de la société civile et des diasporas, l’action locale prend une envergure inédite. Loin des logiques centralisatrices, la solidarité internationale se tisse au niveau local.
La mondialisation accélère encore ce phénomène. L’Union européenne et le Conseil de l’Europe encouragent les GECT et GLCT, facilitant des coopérations transfrontalières plus souples et réactives. Les collectivités prennent le relais, s’essaient à de nouveaux schémas, innovent. L’Atlas français de la coopération décentralisée dresse la carte de ces initiatives foisonnantes.
Ce changement d’échelle mérite qu’on s’y attarde : la coopération décentralisée ne copie pas la diplomatie, elle la complète. Elle fait des territoires de véritables moteurs de solidarité internationale, capables de nouer des échanges concrets et d’adapter leurs réponses aux besoins réels, loin des démarches verticales et impersonnelles.
Quels sont les principaux axes d’action et leurs mécanismes concrets ?
Les actions de coopération décentralisée s’articulent autour de plusieurs pôles forts, répondant à la diversité des situations. Le jumelage reste la pierre angulaire : il entretient un lien continu entre deux collectivités, propice au partage culturel, à la transmission de compétences et à la création de projets éducatifs ou sociaux. D’autres dispositifs existent, comme la convention de coopération ou de projet, davantage centrée sur des besoins précis, santé, eau, gestion des déchets, avec des objectifs délimités dans le temps.
Le financement donne corps à ces partenariats. Des outils comme la Facilité de financement des collectivités territoriales (FICOL) ou les fonds thématiques portés par YCID, dédiés à l’eau, à l’assainissement ou à la gestion des déchets, rendent les projets tangibles. Les conventions cadres posent les fondements, tandis que les conventions opérationnelles détaillent chaque étape. À chaque fois, la réciprocité reste le fil conducteur, entretenue par l’échange d’expertises et la valorisation mutuelle des savoir-faire.
Pour illustrer cette diversité, voici les grands domaines d’action investis par les collectivités :
- Renforcement des services publics locaux
- Appui à la société civile et aux ONG
- Développement de projets économiques partagés
- Organisation d’événements internationaux, participation à des réseaux transnationaux
L’impact se mesure aussi par l’ancrage local de ces initiatives. Les collectivités françaises engagent leur politique extérieure dans la continuité de leur action territoriale, tout en ciblant les besoins essentiels de leurs partenaires étrangers. Le cadre législatif, de la loi Oudin/Santini à la loi d’orientation de 2014, élargit les marges de manœuvre, tout en rappelant que l’intérêt collectif doit primer. Les réseaux, qu’ils soient européens ou départementaux, favorisent les synergies et donnent à la solidarité internationale une dimension profondément territorialisée.
Des impacts réels sur les inégalités sociales : ce que révèlent les expériences locales
La coopération décentralisée n’a plus rien d’anecdotique. Sur le terrain, les collectivités territoriales françaises bâtissent des liens durables avec des partenaires du Liban, du Sénégal, du Burkina Faso ou de la Palestine. Entre le département des Yvelines et Kesrouan-Ftouh au Liban, la commune d’Andelu et Sanrgo au Burkina Faso, chaque jumelage prend une forme concrète : construction d’infrastructures, accès à l’eau potable, renforcement des administrations locales, accompagnement sur la gestion des déchets… Les domaines d’action changent, la philosophie reste la même : réduire les disparités, infléchir les trajectoires de développement.
Les actions de coopération s’appuient sur la société civile, les ONG et parfois l’énergie de la diaspora, pour inscrire l’aide dans la durée. À Comé, au Bénin, ou à Baïla, au Sénégal, le partenariat avec les communes françaises a permis la création de centres de santé, de bibliothèques, ou l’installation de réseaux d’assainissement. Les effets se voient vite : la fréquentation scolaire grimpe, la santé publique progresse, l’implication des femmes dans l’économie locale s’intensifie.
Quelques exemples précis illustrent cette dynamique de terrain :
- Guyancourt et Comé : programmes conjoints pour l’éducation et la jeunesse
- Limay et Shu’Fat (Palestine) : coopération sur la gestion de l’eau et des déchets
- Trappes en Yvelines et Podor (Sénégal) : développement de structures de santé communautaires
La solidarité internationale via la coopération décentralisée prend ici tout son sens : elle se traduit par des partenariats concrets, où administrations, associations et acteurs locaux travaillent main dans la main pour que la réduction des inégalités sociales devienne une réalité partagée, et plus seulement un slogan.
La carte de la solidarité se dessine désormais à l’échelle des territoires. Et si demain, ce sont les communes qui dictaient aux États la marche du monde ?